Les élections 2016 en Afrique : entre heurts et essors

Article : Les élections 2016 en Afrique : entre heurts et essors
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25 avril 2016

Les élections 2016 en Afrique : entre heurts et essors

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Plus d’un demi-siècle nous sépare du discours tant historique et équivoque de la Baule de François Mitterand en Juin 1990. Ce discours sonnait le glas du parti unique et de la pérennité au pouvoir laissant l’espoir d’un renouveau démocratique. La chute de Blaise Compaoré en octobre 2014 suivi des élections responsables de novembre 2015, l’alternance au Nigéria en mars 2015, et dernièrement au Bénin en mars 2016 constituent des exemples patents d’une Afrique en mouvement. Notre propos ressortira de façon globale les traits caractéristiques de la comédie électorale 2015-2016 dans la plupart des pays africains et les points saillants qui ont posé le jalon d’un nouveau départ démocratique.

  1. La comédie électorale

La succession des élections des élections depuis l’année passée semble donner place aux arguments souvent désapprobateurs de mascarade électorale ou de « plaisanterie démocratique ». Pour nous, l’image d’une sauce concoctée avec divers ingrédients constitue la parfaite image des élections en Afrique. Les ingrédients peuvent être mesurées en grande ou petite quantité selon les pays mais la couleur externe de la sauce reste la même.

  • Dissensions de l’opposition

Un fait marquant de la période électorale est le réveil des partis politiques de leur sommeil dogmatique. En effet, c’est en Mai 2014, moins d’un an avant les élections présidentielles que l’opposition accepte de reprendre le dialogue politique avec le pouvoir pour des réformes politiques. Il en résulte une inertie politique voire un pullulement des partis politiques. L’élection présidentielle devient comme la crotte qui accueille la horde de mouches à l’assaut de leur substance. Pour des populations allant de 5 à 22 millions, on dénombre 14 à 28 candidatures. En tête du classement de IMANI Francophone, on trouve la Guinée Conakry avec 24 candidats sur un total de 124 partis politiques, le Sénégal, le Bénin et la Côte d’Ivoire , le Tchad avec 14 candidats à la course présidentielle.

De plus, on note dans cette comédie électorale, l’union et les fissions politiques qui se forment au gré des intérêts personnels et du désir d’alternance. Au Niger, le 27 Janvier dernier fut créé la COPA 2016 ( Copa 2016) réunissant 5 candidats de l’opposition décidés à gagner le second tour face au prédident Mahamadou Issoufou, le CAP 2015 pour l’alternance au Togo, et au Bénin, des coalitions d’hier qui vilipendaient la candidature de Lionel Zinsou change brusquement de ton. Cela démontre du manque de stratégie de l’opposition qui est souvent divisés par des intérêts particuliers. Dans nombre des pays de la sous-régions, « les partis politiques sont passés maîtres dans l’organisation de véritables calembours déguisés en alliances politiques, qui se font et se défont au gré des enjeux électoraux[1]. »

  • Réformes politiques avortées

Nombre de réformes déclenchées pour la transparence des élections n’ont pas été réalisés. Que ce soient les réformes constitutionnelles sur la limitation des mandats, le nombre de tours des élections ou les réformes institutionnelles des commissions électorales ou de l’audit du fichier électoral ont constitués de promesses vaines. Les exemples sont pluriels : l’adoption forcée d’une nouvelle constitution au Congo en faisant sauter les verrous de limitation d’âge et du nombre de mandats, les tentatives de Joseph Kabila pour demander un recensement électoral afin de briguer un troisième mandat, la mise à jour des listes électorales en Gambie en vue de purger l’arène politique des opposants trop zélés. En un mot, les réformes politiques sont mises en branle pour démarrer la machine de l’éternisation au pouvoir.

  • Une société civile faible

Au Togo dénommé CST (Collectif Sauvons le Togo), au Tchad avec le collectif Trop c’est trop ; l’Union des syndicats du Tchad, et au Burundi, la société civile cherche à dénoncer les difficiles conditions de vie sociale des populations. Entre « ville morte » et appels à boycotter les élections, les manifestations créent parfois des destructions de biens publics. La population n’arrive pas à discerner la différence entre leurs actions et celles des partis politiques. Cette confusion sur la scène politique porte atteinte à la démocratie et à l’efficacité des contestations.

  • Droits et libertés fondamentales bafoués

La violence politique est l’un des caractéristiques marquant du paysage électorale. Le Burundi actuel, les émeutes et attaques sporadives au Congo, l’emprisonnement des opposants en Gambie et les répressions militaires au Djibouti en sont les preuves. La presse est muselée par le pouvoir et le contrôle des réseaux sociaux et même la suspension de diffusion des télévisions internationales illustrent la crispation politique, la peur et le désir de contrôle du contre-pouvoir. Les leaders de la société civile arrêtés au Tchad, le retour difficile d’exil de Bénoît Koukébéné, vice-président de l’Union panafricaine pour la démocratie sociale constituent des entorses à la démocratie.

  • Le régionalisme

Les découpages ethniques ont une incidence sur les élections dans la plupart des pays africains. Certains présidents instrumentalisent la question ethnique pour conserver le pouvoir et les partis politiques de l’opposition aussi ont leur fief de popularité. Cette donne de région ou ethnie d’appartenance fausse la marche des pays comme la Guinée Conakry, le Togo, le Nigéria, la Côte d’Ivoire et le Mali vers l’alternance démocratique. Le régionalisme, l’ethnocentrisme et les haines nourries entre groupes ethniques ne rendent pas la tâche facile à l’alternance politique et à la responsabilité des citoyens.

  1. L’élan démocratique au Bénin, Burkina Faso

Les traits convergents qui caractérisent la marche démocratique au Bénin, Burkina Faso, Nigéria est sans doute la volonté du peuple de rompre avec le système existant jusqu’alors. Au Bénin, le peuple a mûri une responsabilité politique et est sorti exprimer ses suffrages contre le candidat Lionel Zinsou, à tort ou à raison surnommé le candidat de la France. Dans la sous-région ouest africaine, à part le Sénégal, le Bénin jouit d’une stabilité politique, en témoignent les élections apaisées et transparentes, donnant la place au débat politique. C’est l’insistance de la rue qui a forcé Blaise Compaoré à lâcher le pouvoir. Les jeunes, la société civile burkinabé (le balai citoyen) ont porté le flambeau de la contestation de la rue et lutter pour que les politiques respectent la constitution. Les images des burkinabè balayant les rues, nettoyant les lieux publics après les contestations est un message fort de la participation citoyenne. Les biens publics doivent être respectés et en aucun cas détruit pour servir quelconque intérêt d’alternance démocratique. Le référendum dernier au Sénégal pour la réduction de la durée du mandat à 5 ans est l’expression d’une intériorisation du fonctionnement des règles de la démocratie.

 

En définitive, un leadership politique responsable est le résultat d’une plaidoirie du peuple. Mais qui est ce peuple ? Ce sont les hommes et femmes éduqués et aguerris à la chose politique, c’est le citoyen lambda qui participe activement à la vie de la cité et s’intéresse à l’application des textes fondateurs, c’est la société civile responsable, ce sont enfin les partis d’opposition impliqués dans des politiques de développement. Seule l’éducation politique peut sauver les élections en Afrique.

 

AMEGBLE Jean Della Strada,sj

[1] Alan Akakpo et Mahamadou Camara, « CLASSEMENT : LA COMÉDIE DE LA DÉMOCRATIE EN AFRIQUE FRANCOPHONE » in www.imanifrancophone.org

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