Bangui la Coquette à Bangui la Roquette ( Acte I, Scène I)

Article : Bangui la Coquette à Bangui la Roquette ( Acte I, Scène I)
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11 janvier 2014

Bangui la Coquette à Bangui la Roquette ( Acte I, Scène I)

 

combattants
credit Photo rue86.com

Etat-type de la Françafrique, la République centrafricaine fut dans les années 1970 l’objet des discussions et reportages des télévisions françaises. On se rappelle comment la France a pris une large part dans la politique intérieure et le sacre de l’empereur Bokassa 1er, grand ami de Charles de Gaulle. D’autre part, l’histoire de la Centrafrique montre un peuple qui a tellement souffert de la violence et de la répression coloniales jusqu’aux conflits internes, aux coups d’Etats répétitifs et de l’insécurité croissante provoquée par les diverses milices ou groupes rebelles dans le pays. Beaucoup de plumes et d’écrits célèbres peignent et continuent de peindre l’histoire « dramatique » de la Centrafrique. Loin de continuer dans cette mouvance pessimiste, nous dégagerons autant que possible une analyse du conflit centrafricain à travers 4 grands points : les acteurs du conflit centrafricain, les éléments déclencheurs, les causes profondes, les conséquences et les logiques d’action. Au sortir de cette analyse scientifique, nous élaborerons une démarche ou stratégie de sortie de crise.

Les acteurs du Conflit centrafricain

Les acteurs internes

Le gouvernement centrafricain de François Bozizé : Parvenu au pouvoir par les armes le 15 mars 2003 par le renversement de son président Ange Félix Patassé, le général François Bozizé fut pendant longtemps l’homme qui imposait le silence aux mutineries fréquentes à Bangui et déjouait les tentatives de coup d’Etat. Devenu rebelle lui-aussi en exil, aidé de ses alliés tchadiens, Bozizé s’empare aisément du pouvoir étant donné sa popularité dans l’armée centrafricaine. Cette armée centrafricaine contient en elle-même les germes d’une auto-destruction : une armée mi-rebelle, mi-républicaine, une armée non professionnelle formée d’un melting pot d’ex-miliciens réinsérés, d’ex-combattants frustrés qui n’ont pas été gradés, une armée prête à défaire de sa loyauté pour la recherche de l’honneur, de la gloire et de la richesse étant donné les coups d’Etat et les mutineries de 1996 et 1997. Soulignons que l’histoire militaire de la Centrafrique fait état de 300 milices libyens en plus de la garde présidentielle dénommé FORSIDIR ayant assuré la sécurité de l’ancien président Ange Félix Patassé. De même, le mouvement rebelle Mouvement de Libération du Congo de Jean-Pierre Bemba (MLC) a aidé Patassé à conserver le pouvoir. Mais à sa prise de pouvoir, les forces ayant aidé Bozizé à prendre le pouvoir (composé de forces tchadiennes) ne bénéficiant pas de rémunérations se sont servis en pillages, viols et exactions sur la population. Bozizé avait à sa solde deux bataillons d’infanterie territoriale (BIT) en plus de la garde présidentielle composé d’éléments de l’ex-Unité de Sécurité Présidentielle de Patassé. Il appert que l’armée centrafricaine hérite d’une indiscipline notoire encouragée par le non-paiement des salaires des militaires. Les FACA ou Forces Armées Centrafricaines ont plus été des forces à la solde d’un président plutôt qu’une armée républicaine malgré les réformes initiées par la France.v

La pléthore de groupes rebelles : les petites milices et groupes rebelles pullulent en Centrafrique. Du MLC de Jean-Pierre Bemba aux rebelles de l’Armée de Résistance du Seigneur LRA de Joseph Kony en passant par les petites milices tchadiennes ou libyennes, les mutins de l’UPS ou de la Garde présidentielle, il est à remarquer que le climat d’insécurité est favorable à leur épanouissement, leurs exactions.

La Séléka : qui veut dire « Union » ou « Coalition » en Sango regroupe en son sein des partis politiques, des ex-combattants de la crise de 2007/2008 qui n’ont pas été réinsérés selon les accords de pacification. Composés à la fois de mutins qui ont pris les armes contre Bozizé en 2004 et des rebelles provenant du Soudan (conflit du Darfour), ce groupe de rebelles avec Djotodia à sa tête avait sévit dans le Nord-Est du pays, dans la ville de Birao. Ce groupe rebelle s’appelait l’UFDR (Union des Forces démocratiques pour le rassemblement). La mutinerie fut arrêtée à temps en fin d’année 2006 par l’Armée française. Et sous l’égide des Nations Unies, il fut signé une amnistie pour l’UFDR et le gouvernement. L’accalmie ne dura point puisque la rébellion qui avait fait son quartier général au Nord multipliait exactions, pillages, vols et viols sur la population. Cherchant à faire entendre leurs voix sur l’inapplication des accords de paix de 2007, les factions armées (soudanaises, tchadiennes, centrafricaines) se mirent en branle le 10 Décembre 2012 et conquirent Bangui 4 mois plus tard.

LRA : Signalée en Centrafrique depuis 2008, l’Armée de Résistance du Seigneur de Joseph Kony est un puissant maître de l’Ouest de la Centrafrique. Cette Armée a déclaré la guerre au président ougandais Yoweri Museveni et s’est replié dans les localités centrafricaines de Ligoua, Kourouko, Gassimbala, Koubou, Gougbéré, Dindiri, Kamou, Ndigba où elle a mené divers attaques. Echappant au contrôle de l’Armée soudanaise et même des forces centrafricaines, cette faction mène des raids dans les zones fertiles et prospères afin de se ravitailler en nourritures. Ainsi, elle provoque un isolement des grandes villes comme Obo situé à plus de 1200 km de Bangui dans la préfecture du Haut Mbomou, à la frontière avec le Soudan et la RDC.Les rebelles de la LRA sont signalés aussi à Birao en septembre 2010.

MLC (Mouvement de Libération du Congo) du chef de guerre Jean-Pierre Bemba sévissait déjà depuis 1998 dans le Nord de la RDC. Suite à l’appel du président centrafricain Ange-Félix Patassé, les rebelles du MLC vont réprimer dans le sang la tentative du putsch du général Kolingba en Mai 2001 et de Bozizé entre Octobre 2002 et Mars 2003. Ils furent l’objet de nombreuses exactions dans le pays et sont accusés depuis 2008 de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Leur présence réelle dans le bourbier centrafricain exacerbe les divisions et la concurrence entre groupes armées.

Les anti-balaka : mot dérivé de la langue française « anti balle AKA »  c’est-à-dire des jeunes portant des gris-gris pour se protéger des balles des fusils AK 47 utilisés par les éléments de la Séléka, il devient contradictoire voire illogique de penser comme la plupart des médias français que ce sont des « anti-machettes. » Il en ressort que même les informations concernant des anti-balaka comme des milices regroupant seulement des chrétiens sonne totalement faux malgré les attaques et affrontements opposant les « musulmans » ou les commerçants aux chrétiens. En Centrafrique, affrontements entre chrétiens et musulmans n’est que l’aboutissement d’une confusion entre musulmans et combattants du Nord d’une part et entre musulmans et commerçants d’autre part. Le conflit centrafricain continue d’être instrumentalisé et exacerbé par une presse occidentale qui semble évoluer dans les catégorisations : Nord/ Sud, chrétiens/ musulmans ; nomades/ sédentaires. La Séléka regroupe plutôt des jeunes de Bangui et surtout des villes de l’intérieur qui s’organisent en force d’auto-défense contre toute agression de la Séléka. Loin d’être une nouvelle force et seulement chrétienne, ces groupes de jeunes se sont toujours formés en Centrafrique afin de se protéger de la violence récurrente des milices et groupes armés dans le pays. Il faut noter qu’il existe un clivage entre les centrafricains du Nord (qui se considèrent plus tchadiens et professent l’islam sunnite de l’espace saharo-sahélien et parlent arabe) et ceux du sud (qui furent victimes des razzias esclavagistes). Face à une population qui se réclame du christianisme (25% de catholiques –le père de l’indépendance était un prêtre Barthélémy Boganda en 1938- 25% de protestants) 15% de l’Islam et surtout 35% de l’animisme, il serait préférable d’opter plutôt pour l’hostilité de la population de Bangui qui subit viols et pillages de la part des rebelles « musulmans » alors que les commerçants( pour la plus part nordistes, tchadiens) ne sont aucunement dérangés. Cela explique les débuts des forfaits des milices anti-balaka qui cherchaient à se nourrir par le pillage des boutiques des riches commerçants de la ville.

Il a été ainsi recensé jusqu’alors 14 groupes armés[1] des milices ou factions tchadiennes, ougandaises, les Janjawid soudanais qui pillent et volent et considèrent la Centrafrique comme une « Dar Kouti » c’est-à-dire une terre des esclaves ; les Seigneurs de la guerre. Tout cet enchevêtrement de factions armées complexifient l’architecture interne des forces en présence et rend encore plus difficiles les enjeux et intérêts de ces forces.



[1] Patrice GOURDIN, « République Centrafricaine : géopolitique d’un pays oublié » in diploweb.com, Oct 2013.

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