Une enfance escamotée par « Dieu »

Article : Une enfance escamotée par « Dieu »
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8 août 2015

Une enfance escamotée par « Dieu »

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Ce beau jour ensoleillé sur le chemin du retour de l’école, Aya sifflotait joyeusement, tenant le bras de son grand frère âgé d’une dizaine d’années de plus qu’elle. Dans ce coin reculé de la terre camerounaise, on se connaissait tous. On vivait de l’agriculture et quelquefois de la chasse, mais les animaux devenaient rares, ou plutôt les hommes devenaient les animaux à chasser. D’une façon soudaine, on entend des cris qui peuvent vous acérer la poitrine. Ce n’est pas l’annonce d’un mariage, c’est la réaction du cœur d’une femme qui vient d’assister en réalité, à la liquidation de son mari qui tombe raide, mort. Celui-ci vient d’être décapité sous ses yeux par des hommes mi- cagoulés, en uniforme de militaires. Ce sont en effet les énergumènes de « l’armée d’Allah », le fameux Boko Haram. Ce cri n’est que le début d’une longue litanie de cris vociférant çà et là dans tout ce petit village. En un claquement des mains, les tentes se mettent à brûler, les hommes qui veulent résister abattus froidement. Les enfants sont regroupés ensemble et avant qu’ils ne se rendent compte de quelque chose, on les force à marcher et entrer dans la camionnette. Aya fait partie de ce groupe ; après un temps incalculable où le cœur bat la chamade et sert d’aiguille de montre, les hommes menaçants, agressifs les font descendre dans la forêt escarpée de Sambisa (faisant frontière entre le Cameroun et le lac Tchad) véritable labyrinthe composé de centaines d’îlots.

Les vrais dommages collatéraux

Comme toute histoire tragique, il est plus facile de raconter que de vivre le ou les moments sombres. Les raids de Boko Haram se font de plus en plus menaçants dans toute cette région nommée la région du bassin du Lac Tchad regroupant le Cameroun, le Tchad, le Niger, le Nigeria et la République centrafricaine. Cette région frontalière devient de plus en plus poreuse et facile à pénétrer. Les éléments de Boko Haram profitent pour contrôler les villages le long des côtes par des attaques sporadiques.

La terreur généralisée, la panique des coeurs

Bien que l’Etat camerounais ait pris des mesures pour freiner l’avancée du djihadisme sur ces terres, et que le BIR (la Brigade d’intervention rapide) ait une réputation très efficace dans le pays, il semble difficile d’endiguer la panique qui se répand dans le cœur des populations. Cette semaine encore, mardi matin, le village de Tchakarmari a été visé par des militants de Boko Haram. Ce village se situe au nord de la ville de Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord. Au total huit personnes tuées et une centaine d’autres enlevées servant à la fois de bouclier humain et de renflouement des troupes. Le plus grand dommage collatéral de cette guerre dite non conventionnelle est le dégât psychologique des populations non seulement camerounaises, mais aussi nigérianes, tchadiennes. Consacrer la terreur comme liturgie de la guerre et utiliser des enfants, et surtout les filles comme armes de guerre. Le sens du « kamikaze japonais » perd son sens. Maintenant, du plus fragile sort la plus grande terreur et horreur, de la plus innocente chair sort des éclats de tonnerre. Que de paniques suscitées non seulement par des bombes qui explosent en tout lieu et en tout temps. Même les bases militaires sont attaquées (cf la base militaire camerounaise de Kolofata qui commençait à servir comme base militaire de la force multinationale des pays de la région). Le Cameroun et le Tchad considérés longtemps comme une zone plus ou moins sécurisée deviennent de plus en plus une zone grise. La tâche est plus ardue maintenant que la nébuleuse islamiste peut se procurer des effectifs en hommes et surtout femmes dans au moins trois pays ( Nigeria, Cameroun, Tchad). Cette capacité à transformer une personne inoffensive (femmes, enfants) en armes redoutables est le plus grand dommage collatéral causé à cette partie de l’Afrique. En plus, ayant déjà souffert de plusieurs revers, Boko Haram mise plus sur la frappe asymétrique c’est-à-dire des attaques rapides, à la bombe et incursions au même moment, mais en plusieurs endroits différents au cœur du pays. C’est ce que l’on appelle une nébuleuse, ou un dragon à plusieurs têtes. Cela crée la psychose généralisée. Au sein des populations, il existe nombre de sympathisants de Boko Haram qui infiltrent la ville et fournissent des renseignements à leurs chefs. Boko Haram a à la fois un visage et un fantôme. Dans les mosquées, les imams ont peur d’aborder la question par peur de représailles. Les parents aisés envoient leurs enfants dans les villes plus sécurisées. L’incapacité d’identifier son adversaire augmente la panique dans la zone, que ce soit au Tchad, au Nigeria, au Cameroun. Selon le reportage de Africatime, « Nous ne savons plus qui est qui. J’ai peur quand je marche, j’ai peur qu’il ne se passe quelque chose, qu’une bombe explose et qu’elle me tue. » Cette phrase illustre si bien la terreur, la peur sans objet que génère Boko Haram. C’est le plus important et grand dommage collatéral.

Un terrain déjà miné, une zone grise

Le second dommage collatéral des attaques de Boko Haram est en effet le changement de la nature de cette zone frontalière. Le bassin du lac Tchad est bel et bien miné, même après 10 ans, on continuera d’entendre les mines explosées dans cette région. En effet, le timing du réveil des dirigeants de la région a été long, lourd et pesant. On pensait que Boko Haram n’était qu’une affaire nationale et qu’elle ne susciterait pas de problèmes à toute la région. Fallait ne pas compter sur nos experts en sécurité et stratégie des gouvernements des pays limitrophes. Après l’ère Goodluck Jonathan, on essaie de se mobiliser plus rapidement. Mais la veine est déjà coupée, les traditions déjà ancrées dans les mœurs. C’est la tradition de la violence, du conflit. La violence qui mine cette région subsaharienne doit être considérée d’un point de vue global avec le conflit malien qui se perpétue à l’ouest, et le phénomène Boko Haram à l’est, les shebab au nord-est. Considérant cette zone large, il semble de plus en plus que la gangrène islamiste bouffe le continent de l’intérieur vers les côtes. L’intérieur est-il le maillon le plus faible ? Non, mais les circonstances permettent à ce que la secte se radicalise et crée la zone grise : la guerre civile en Libye qui continue d’être contrôlée par des groupuscules armés, l’Algérie au bord d’un ras-le-bol sociopolitique dû à une éternisation d’un président malade au pouvoir. Boko Haram n’est que le signe patent d’un no man’s land, un désert où la raison du plus fort est la meilleure.

Quelle lutte contre quel combattant de Boko Haram ?

La vraie contradiction au cœur de cette lutte contre Boko Haram est en effet la nature de ces combattants. Des mesures sont prises de tous les côtés pour lutter contre la nébuleuse : partenariat avec les chefs locaux, traditionnels, et les leaders religieux, contrôle des prêches dans les mosquées, interdiction de circulation des engins à deux roues à partir de 18 heures, association du Concile des imams et Dignitaires musulmans du Cameroun (CIDIMUC) pour éduquer les citoyens sur les dangers du radicalisme religieux et de la violence extrémiste, promotion de la tolérance religieuse, renforcement du partenariat avec les Etats-Unis et la France au sein du Partenariat transsaharien du contre-terrorisme, création de la Force multinationale conjointe (MNJFT), renforcement de la loi contre le terrorisme, raids et nettoyage de la région du lac Tchad, création du G5 dans le Sahel (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mali). Pour les mesures prises, elles semblent plus ou moins porter leurs fruits, mais elles ne s’accentuent pas sur les femmes et les enfants. En effet, le plus grand pourcentage de l’armée de Boko Haram est constitué de femmes et d’enfants. On ne doit en aucun cas oublier que le terrorisme est avant tout une guerre psychologique. Plusieurs mesures sont prises pour maîtriser la zone grise et repousser les assaillants, les éliminer ou les arrêter, mais la partie psychologique est négligée. Le plus grand dommage collatéral qu’est la terreur ou la psychose doit être traité. C’est à ce seul prix que les populations comprendront que la guerre contre Boko Haram est une guerre de tous.

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